Arrivé du sud du Bénin il y a quelques années, Jean Kollé a construit sa vie en Aveyron entre travail acharné, épreuves et renaissances. Entrepreneur derrière la marque Wangoods, il incarne aujourd’hui la force de ceux qui ne cessent jamais d’avancer.

C’est cet accident : brutal, inattendu, presque irréel qui m’a donné envie de dresser son portrait. Un obstacle de plus, dans une vie qui n’en a jamais manqué. Alors que Wangoods entame sa deuxième année, que les marchés s’enchaînent et que les projets prennent forme, ce coup d’arrêt a tout remis en question… sauf sa volonté de continuer.

Avant d’être un entrepreneur, avant même d’être un homme marqué par les épreuves, c’est un jeune homme venu du Bénin. « J’ai eu une enfance plutôt chanceuse« , dit-il, sans ironie. Chanceuse, car entourée d’une large communauté où les liens priment sur tout. Dans son village, « on pouvait entrer dans toutes les maisons sans se soucier de rien« .

On y vivait dehors, librement, avec une confiance rare. « On dormait même sous les arbres, et les parents venaient nous chercher au moment de manger« , raconte-t-il en souriant, comme un souvenir lointain.

Photo de Jean Kollé dans son salon, crédit photo : Léo Labaume

Mais derrière cette insouciance se cachait aussi la dureté de la vie rurale. Tout petit, il est frappé par la poliomyélite, maladie très contagieuse qui peut provoquer des paralysies irréversibles. Les trajets quotidiens vers l’école de cinq à sept kilomètres deviennent un défi. Le village le surnommait « l’enfant qui n’a pas le pied« .

Plus tard, une maladie grave manque de l’emporter. « Tout le monde croyait que je n’allais pas survivre. » Pourtant, comme souvent, l’entrepreneur se relève de cette épreuve. Porté par ses frères et sœurs, il réapprend à marcher, puis retourne à l’école. Dans ce monde dur mais aimant, il forge un réflexe qui ne le quittera plus : tenir.

Partir, tomber, se relever

Des années plus tard, il quitte le Bénin, convaincu qu’ailleurs, il pourra tracer sa route. « L’intention en venant en France, c’était de m’en sortir par le travail« , résume-t-il. Mais la réalité le rattrape vite : un visa de quelques jours, puis plus rien. Les nuits dans les foyers d’urgence, les travaux non payés, la préfecture qui refuse, la précarité qui s’installe. « Il m’est arrivé de dormir dans la rue, sur un banc public à Rodez« , dit-il simplement, comme un fait parmi d’autres. Il faudra trois ans de lutte administrative avant d’être régularisé.

Une fois les papiers obtenus, Jean Kollé ne s’arrête plus : CDD, formations, stages, reprise d’études à la CCI, puis un bachelor, un Master, et l’arrivée tardive de sa femme et de son fils, huit ans après son exil. Au fil de ce parcours, l’idée de Wangoods germe pour valoriser des produits naturels du Bénin. 

L’accident, un obstacle parmis tant d’autres

En Octobre dernier, le fondateur de Wangoods revient de Montpellier après plusieurs jours de foire. Sur la route, une voiture coupe sa trajectoire. L’impact est violent, imprévisible. « Je suis resté plus d’une heure enfermé dans le véhicule. » Dans la tôle écrasée, il pense à sa femme, à son fils, à tout ce qu’il a construit. Son véhicule  floqué, essentiel pour les marchés, véritable outil de travail est détruit. La saison des fêtes approche, l’entreprise est fragilisée.

Aujourd’hui, Jean Kollé vit entre les séances de kiné, le suivi psychologique, et les démarches liées à l’accident. Les douleurs persistent, la peur aussi. « Reprendre le volant est difficile aujourd’hui« , avoue-t-il. Pourtant, ce n’est pas seulement une question personnelle : c’est tout son modèle qui repose sur sa mobilité. « Je suis un homme de terrain : j’aime aller au contact des gens. » Sans voiture, impossible de se rendre sur les marchés. Alors il a lancé une cagnotte, comme moyen de redémarrer, de reprendre la route, et de donner un nouveau souffle à Wangoods. 

Une leçon de vie

Quand on demande ce qu’il retient de tout cela, l’Aveyronnais d’adoption sourit : « Tant qu’on a le souffle de vie, rien n’est perdu.« 

Il rêve déjà de l’avenir : une famille qui s’agrandit, Wangoods qui se relève. Et surtout, l’envie de servir d’exemple, pas pour montrer qu’il a réussi, mais pour prouver que tout est possible.

Avant que je parte, le père de famille me glisse un petit cadeau de sa marque : un geste simple, chaleureux, qui résume parfaitement l’homme qu’il est. Jean Kollé me raccompagne avec un sourire discret, ce  sourire d’homme qui, malgré les blessures, se relève encore.

Léo Labaume