On dit de l’armée qu’elle est « la grande muette ». Individuellement, les militaires ne sont guère plus bavards sur leur quotidien, leurs missions et moins encore sur leurs états d’âme. François, ancien sergent, a pourtant choisi de parler. Il partage dans cet article la difficulté que peuvent avoir les soldats à se confier sur ce qu’ils ont pu vivre au front.

«Dans le civil, ils ne nous comprennent pas, c’est pour ça qu’on dit que l’armée est ta deuxième famille.» François, ancien sergent au 2ème Régiment d’Infanterie de Marine du Mans a participé à de nombreuse opérations extérieures (OPEX) notamment certaines se déroulant en Afrique (Somalie, Tchad, Djibouti…) ou d’autres sur le continent européen comme Sarajevo durant la guerre en Bosnie-Herzégovine. Il nous décrit deux mondes, celui de l’armée et celui du civil. Pour François, le civil est un univers dans lequel il est impossible pour les militaires de se confier. Un monde où ils sont incompris et dans lequel leur témoignage paraîtrait fictif. « Ce que tu raconterais aux civils leur semblerait dépasser la réalité » affirme cet ancien soldat avant de nous confier qu’il sont parfois « obligés de faire des choses qu’on ne peut pas expliquer dans le civil ».

Même s’ils le voulaient, ils ne pourraient pas totalement se confier car il y a des choses qu’ils n’ont tout simplement pas le droit de raconter.

Le cercle familial, plus intime, pourrait être un endroit où le militaire se sentirait en confiance pour ouvrir son cœur. Cependant, ce n’est pas le cas, ils n’en disent pas plus à leur famille. Désormais civil, François explique que sa famille ne le comprendrait pas, ne serait pas sur le même terrain d’entente : « certains te diraient : « mais il ne fallait pas faire ça» ». Mais il y a d’autres raisons pour lesquelles il ne leur en parle pas, « c’est aussi pour les sauvegarder», et les protéger de la violence de ces histoires. Il confie également ne pas en avoir parlé à sa fille par peur qu’elle « doute » de son père.

Les seules personnes avec lesquelles ils peuvent se confier sont celles qui ont vécu les mêmes choses : celles qui étaient avec eux, celles qui sont allées au même endroit et on fait des choses semblables. En bref, les frères d’armes.

Cependant, même avec les collègues de l’armée, le sujet des souvenirs traumatisants  est évité. Évidemment, «si quelqu’un affronte ce sujet, on va en parler parce qu’on se comprend mais, sinon, on préfère déconner en parlant des bons souvenirs », explique l’ex-militaire qui a gardé des liens très forts avec ses anciens frères d’armes.

L’Armée a pris conscience de cette difficulté qu’ont les militaires à se confier et des conséquences que cela peut avoir sur leur santé mentale. « De nos jours, il y a des psys avec qui tu peux en parler mais à mon époque cela n’existait pas. Généralement on te disait de t’écraser et de ne pas en parler, surtout pas dans ta famille car tu ne peux rien divulguer”. C’est en suivant ces conseils que François s’est formé une carapace. Il a enfoui ses souvenirs traumatisants et est le seul à subir le poids de ces secrets douloureux.

Lucillia REITANO